Marion Tampon-Lajarriette, après avoir travaillé sur le thème du cinéma qui constitue une mémoire collective réappropriée différemment chez chacun et de l’imaginaire humain qui se réapproprie des faits réels autant que des fictions pour constituer notre vision du monde, conduit actuellement sa recherche vers deux axes principaux. Le premier s’oriente vers une nouvelle mise en scène de bustes antiques qui sont transformés en paysages stellaires et/ou imaginaires. Le second est plus scientifique et traite plusieurs sujets : l’astrophysique, la géométrie, les mathématiques. Les œuvres que l’artiste présentera aux Swiss Art Awards 2016 retracent le parcours de ce deuxième axe de recherches. La série photos (« La Nuit des Tours ») se situe au tout début de ses recherches concernant la géométrie et les règles qui régissent la nature, et l’installation vidéo (« Les Harmonistes ») constitue un moment charnière, une nouvelle voie d’études.
« La Nuit des Tours », série de 10 photos non retouchées réalisée en 2014, surprend, dans leur intimité, des sculptures minimales exposées en plein air au nord de New York. Le cadrage circulaire renforce une idée de voyeurisme tandis que l’objectif infrarouge dans la nuit noire, la surface presque rugueuse des clichés ainsi que le petit tirage nous amène dans l’univers intime et angoissant du soir d’Halloween. Ces paysages nocturnes habités de formes géométriques minimales nous rappellent aussi des planètes fantastiques. L’intérêt de l’artiste pour la science-fiction qui est présente dans cette série de photographies est en parfait décalage avec la source noble du lieu d’exposition. L’artiste amène par-là ce lieu vers une culture plus populaire.
« Les Harmonistes » représentent l’ensemble d’une série de cinq animations vidéo créée en 2015. Ces cinq formes, qui dégagent chacune un son particulier se mêlant aux autres, renvoient aux cinq solides de Platon qui sont associés aux théories sur l’harmonie ainsi qu’aux cinq éléments : terre, eau, air, feu et éther (de bas en haut). Derrière cette composition visuelle et sonore se cache la théorie de l’harmonie des sphères qui met en équivalence les mouvements planétaires, la géométrie des nombres entiers et les harmonies musicales. En quelques sorte, on a avec cette expérience vertigineuse de contemplation une représentation de la perfection dans la nature qui est ici traduite par des mouvements infinis d’objets stellaires en suspension ou des bulles de savon éternelles enveloppées des cinq gammes planétaires de Kepler (basées sur les cinq polyèdres de Platon) dont le son ne s’arrête jamais.
Ces deux œuvres sont connectées l’une à l’autre par l’imaginaire de l’espace et la géométrie venant de la nature ou de l’homme. Elles se placent alors au cœur des recherches actuelles de Marion Tampon-Lajarriette : la projection imaginaire. Cette perception est collective parce que culturelle, scientifique et universelle et intime par le regard et les filtres que chacun possède à sa manière : « le cinéma intime du cerveau ».
L’œuvre de Marion Tampon-Lajarriette renvoie à la manière dont le savoir est pétri par l’imaginaire, par la fiction, par des hypothèses. L’artiste amène à réfléchir sur les différents filtres culturels qui nous permettent de comprendre le monde d’une certaine façon, autant au niveau intime que collectif. L’œil donne à notre cerveau ce qu’il peut mais nous ne voyons pas le monde et les formes de manière complète et universellement juste ; notre cerveau reconstruit ce que l’œil lui transmet. Le travail de Marion Tampon-Lajarriette se veut critique sur un élément de notre vie qui est fondamental : la perception qui est influencée par tous les constituants de notre vie passés, présents et futurs. Cette projection imaginaire renvoie alors à ce qu’on comprend, ce qu’on croit comprendre, ce qu’on imagine qui va advenir ou qui est advenu ; elle doit être vue d’une manière plurielle.
Texte: Emilie Schmutz
Publié dans le cadre du cours Tour de Suisse. L’art et ses institutions en Suisse, une collaboration entre l’Institut d’histoire de l’art de l’Université de Zurich et du Domaine d’Histoire de l’art de l’Université de Fribourg, avec le soutien de la Fondation Boner pour l’art et la culture.