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Cabinet d’Arts Graphiques, Genève

Excursion du 06.03.2018

Lors de notre visite du Cabinet d’Arts Graphiques (CdAG) de Genève et plus particulièrement, de l’exposition consacrée à Barthélémy Menn, nous avons eu la chance d’être reçus par Caroline Guignard, assistante conservatrice du cabinet – avec la présence de Maria Dolores Garcia, gestionnaire de collection – qui nous a proposé un historique du CdAG et un exposé de sa formation et de son travail au sein de l’établissement.

Département du Musée d’art et d’histoire (MAH) à part entière, le Cabinet d’Arts Graphiques est né en 2010 de la fusion du Cabinet des dessins et du Cabinet des estampes. Si les deux pratiques utilisent des techniques différentes, elles ont en commun un même support : le papier. Avant de se réunir sous une même enseigne, les deux cabinets ont connu une histoire très différente l’une de l’autre. En effet, si le Cabinet des dessins a été créé en 1964, le cabinet des estampes a lui été fondé en 1886. Située à l’origine au Musée des arts décoratifs, la collection d’estampes a été intégrée au Musée d’art et d’histoire à son inauguration en 1910 – ou plus précisément à la bibliothèque de ce même musée, pour être transférée en 1952 dans un bâtiment d’habitation, ancien hôtel de surcroît, dans lequel nous avons été reçus. La collection comprend des estampes issues de toutes les écoles européennes, dont des grands noms vénitiens du XVIIIe et français du XIXe (contrairement à la collection de dessins qui comprend des œuvres plus « locales » à l’échelle suisse, dont les carnets complets de Ferdinand Hodler et les histoires en image de Rodolf Töpffer). Dans le « département » des estampes sont également conservées toutes sortes d’œuvres se rapportant à l’art multiplié, œuvres reproduites en série, comme des livres d’artistes, des portfolios, des photographies, ainsi que quelques multiples en trois dimensions. Chaque type d’œuvre représente un défi en soi, car il ne demandera pas les mêmes modes de traitement et de conservation qu’un autre.

 

Si le Cabinet des dessins connaît une existence plus courte, c’est que les dessins ont longtemps été conservés avec les peintures et sculptures, selon une tradition du Sud de l’Europe. En effet, s’il est typique de l’espace germanique de conserver les estampes et dessins dans le même espace (notamment dans des Graphische Sammlung, nées au contact des bibliothèques), il est plus typique au sud de l’Europe de conserver les dessins avec la peinture. Genève étant culturellement plus proche de la France, il semble évident que lors de sa création en 1964, la collection des dessins ait été conservée dans le département des peintures et sculptures.

Le choix du nom de « Cabinet d’arts graphiques » permet de mettre en évidence la cohérence d’une telle réunion, ainsi que la pluralité de la collection : il s’agit alors d’une réunion d’« œuvres d’art issues des techniques graphiques », terme qui réunit estampes, dessins, carnets, livres d’artistes ou encore affiches. L’insistance sur le terme d’« œuvre d’art » n’est pas anodine : en effet, les estampes à vocation artistique sont conservées dans le Cabinet ; les estampes topographiques ou documentaires (statut d’archive), dans le centre d’iconographies genevoises. Ce type de réflexion peut également survenir lorsqu’il s’agit de dessins : s’agit-il d’un bête croquis, certes réalisé par un artiste connu, ou peut-il être considéré comme une œuvre à part entière et être exposé ?

Reste une différence d’échelle entre les deux collections réunies au CdAG : si la collection d’estampes atteint les 350’000 pièces, constituant un grand panorama historique du début de la gravure occidentale à nos jours (avec un accent mis sur l’après-guerre, comme les Neue Wilde ou la Transavantgarde, et un grand fond de Georg Baselitz) la collection de dessins est plus maigre, et contient 25’000 pièces, soit moins du dixième de sa collection sœur. L’essentiel des œuvres ont été acquises par dons ou legs, avec quelques achats, surtout dans la collection des estampes dans les années 70.

Le Cabinet des arts graphiques organise bien évidemment plusieurs expositions dans l’année : les expositions alternent selon les époques, les supports (dessins, estampes, pastels) et sont régies par les années anniversaires (comme l’exposition des dessins de Barthélémy Menn dans le cadre de l’année Ferdinand Hodler) ou par les opportunités liées aux collections. Dans les cas où les œuvres collectionnées ne correspondent pas aux domaines de spécialisation des conservateurs du musée, il est commun de faire appel à des collaborateurs scientifiques extérieurs, qui se chargeront de l’apport scientifique et du choix des œuvres. Par exemple, dans la collection du Cabinet d’arts graphiques figurent un grand nombre de miniatures persanes ou de surimono, dont une exposition nécessiterait l’expertise d’un collaborateur scientifique extérieur (ou d’une université étrangère dans le cas des surimono), aucun des employés du Cabinet n’étant spécialisé dans ce type d’œuvres. Proposer des expositions liées aux fonds du cabinet d’arts graphiques est également une question d’économie, les emprunts dans des musées extérieurs étant souvent des opérations coûteuses. Ce type de restrictions budgétaires (n’étant pas confinées à Genève) a induit un changement de paradigme dans l’univers muséal. En effet, l’accent est mis sur la médiation culturelle (notamment dans des projets de vulgarisation, comme l’organisation d’afterworks ou de visite des coulisses au MAH), la communication ou encore sur la mise en ligne des collections (inventaire des pièces et publication sur internet) : le musée devient plus un lieu de vie, de rencontre qu’un lieu de recherche fondamentale et scientifique, ce qui entraîne notamment une baisse de publications de catalogues (la revue Genava est à présent publiée uniquement sur internet[1]).

Lorsqu’il s’est ensuite agi de parler du parcours de Caroline Guignard, nous avons appris qu’elle était venue à travailler dans des collections d’arts visuels par le biais de l’inventaire et de la documentation scientifique. Après avoir obtenu une licence en Lettres à l’Université de Lausanne avec histoire de l’art en branche secondaire, elle a passé un diplôme en gestion de l’information documentaire. Ce dernier lui aura permis d’avoir une approche toujours très concrète des collections, notamment dans ses premiers mandats à la bibliothèque de Genève au département iconographique, puis dans différents fonds d’art contemporain pour l’inventaire, la description et la gestion des pièces. C’est en 2004 qu’elle est entrée en fonction au cabinet des dessins comme collaboratrice scientifique.

Lorsque nous avons demandé à Caroline Guignard de nommer les qualités les plus importantes pour travailler dans un musée, elle nous a répondu sans hésiter que son métier nécessitait « curiosité », « organisation » et « ouverture au numérique ». Si le métier donne l’opportunité d’organiser des expositions, de faire des recherches, de gérer les prêts à d’autres musées ou encore de produire des catalogues raisonnés, elle précise l’importance des qualités de polyvalence et d’organisation. Il est selon elle fondamental de ne pas hésiter à « mettre la main à la pâte » et à s’investir plus profondément dans les collections. « Je pense qu’on ne connaît jamais aussi bien une collection que quand on l’a pratiquée, rangée, organisée, touchée », nous dit-elle. Plus encore que le savoir livresque ou scientifique, il faut savoir se créer des compétences pratiques et revenir à l’objet : il est selon elle obligatoire de s’intéresser à la matérialité de l’œuvre. Plusieurs collaborateurs du Cabinet d’arts graphiques ont d’ailleurs commencé leur carrière au cabinet en tant que stagiaires, notamment dans un stage organisé dans le cadre du Master en études muséales de l’Université de Neuchâtel dans les cas de Maria-Dolores Garcia-Aznar (gestionnaire de collection, chargée du dépôt et de l’inventaire) et Claudia Gaggetta Dalaimo (attachée de recherche). Chacune d’elles, par le biais de son stage, a pu compléter son bagage théorique en histoire de l’art avec une approche pratique, fondamentale de l’avis général.

Nous nous serons quittés sur une question, restée ouverte : un Master en études muséales, bien qu’il ouvre des portes dans le domaine et donne des connaissances précieuses en matière de musées, est-il encore d’actualité dans un monde qui s’oriente de plus en plus vers le numérique, les collections nécessitant d’être inventoriées et numérisées afin d’être mises à disposition des chercheurs ? Si le musée évolue, dans ce contexte de mutation notamment lié aux exigences du public et au budget des institutions, quel serait alors le profil nécessaire pour travailler dans un musée ? Il serait peut-être temps d’envisager une formation en médiation (ou d’attendre peut-être une nouvelle formation en numérique pour les sciences humaines), peut-être plus adaptée aux exigences actuelles du « terrain ».

Auteure: Audrey Mabillard

[1] Voir http://institutions.ville-geneve.ch/fr/mah/collections-publications/publications/genava/.

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