Excursion du 12.03.2016
Le Mamco naît de la volonté (exprimée dans les années ’70) de consacrer un musée à l’exposition de l’art contemporain : grâce aux efforts, financiers et concrets, de la Fondation des Amis du Mamco (l’Amamco), l’ouverture d’un pareil espace a lieu en 1994, sous la direction de Christian Bernard, qui laisse une empreinte très importante sur l’institution du Mamco.
Installé dans le bâtiment d’une ancienne usine, le Mamco présente un aspect hors des schémas traditionnels du musée : dans plusieurs salles, on voit encore le sol d’origine, avec les taches d’huile des machines, qui contraste avec les espaces immaculés qu’on a l’habitude de voir dans ce genre d’endroit. Un autre élément étonnant de l’espace en tant que tel est sa structure interne : au lieu d’être organisé en amples salles, le Mamco s’articule en de nombreuses cellules monographiques inspirées des chambres exiguës des moines. En passant d’une cellule à l’autre, le visiteur est donc projeté dans toute une série de microcosmes qui sont à la fois énormément différents et très proches l’un de l’autre ; chaque lieu représente intimement le travail et les enjeux intellectuels de l’artiste qu’il accueille, en présentant une mise en scène établie personnellement par l’artiste avec le directeur. Ce rapport presque familial avec les artistes est un des principes fondateurs du Mamco : depuis le début, les artistes ont toujours été en contact direct avec les expositions (temporaires et permanentes) : ils déposent leurs œuvres pendant quelques années, parfois ils donnent quelques objets d’art à l’institution, et enfin ils développent de temps en temps leurs salles.
Les espaces qui représentent peut-être le mieux ce lien très fort entre artiste et exposition sont les Ateliers : certaines cellules contiennent de véritables ateliers d’artistes, où ceux-ci sont censés se rendre au moins une fois par an pour y travailler. Depuis 1983, par exemple, Sarkis peint chaque année à l’aquarelle la fenêtre colorée de sa cabane. Ces petites aquarelles sont toutes accrochées au mur en dessous de cette fenêtre, avec l’indication de l’année dans laquelle elles ont été peintes ; à cette date l’artiste ajoute chaque fois un zéro, se projetant ainsi idéalement dans le futur. Sarkis est un artiste arménien qui s’est établi à Paris au début de sa carrière artistique et qui n’a été reconnu que récemment comme artiste turc. À cause de cette identité difficile, qui a été niée par le génocide arménien et le refus turc, cet homme bouge beaucoup : il a de nombreux ateliers en différents endroits et crée avec ces lieux des liens forts : il jette ses racines dans ses ateliers, les investissant d’une notion privée et domestique, visible aussi au Mamco par le matelas roulé dans un coin de la pièce. On aperçoit, dans l’Atelier de Sarkis, les deux thèmes qui lui sont les plus chers : la mémoire et l’origine. La cellule est restée exactement comme elle était à l’origine, sans jamais être rénovée ; la décoration se limite à quelques photographies et bandes magnétiques de musique ou films, sans magnétophone, ce qui symbolise la mémoire désormais inactive de l’état arménien. Son but n’est pas cependant de rester bloqué à l’époque du génocide arménien, ni de rester passif face à son souvenir : Sarkis investit au contraire son énergie dans la tentative de dépasser cette tragédie.
La dimension domestique de l’Atelier de Sarkis n’est pas isolée par rapport aux autres espaces du Mamco : les objets sont rarement organisés de façon aseptique, muséale, mais installés dans les différentes salles à une échelle plus humaine ; celle que l’on appelle Appartement en est l’exemple le plus éloquent. Cette pièce contient des œuvres d’art minimal de la collection de Ghislain Mollet-Viéville, dont l’Appartement est censé reconstruire fidèlement l’habitation. Les œuvres sont ici accrochées aux murs ou disposées sur le sol comme on le ferait à la maison, créant une ambiance qui donne au visiteur l’impression d’être accueilli dans le salon d’un ami.
La variété des expositions monographiques et temporaires du Mamco devient encore plus étonnante au moment où l’on entre dans le Kiosque à dessins, une salle qui contient des œuvres rangées sur des étagères, comme des revues dans un magasin ; il s’agit d’œuvres qui n’ont pas pris place dans des expositions monographiques. On voit ainsi juxtaposées des œuvres très différentes qui sortent de contextes et expositions distincts, qui partagent toutefois des détails ou des concepts qui les lient. Des relations se forment alors entre temporaire et permanent et entre les différents espaces du musée, manifestant ainsi la notion fondatrice du Mamco, qui se définit comme un « millefeuille », c’est-à-dire la juxtaposition et la mise en relation de plusieurs éléments en apparence parfois très éloignés les uns des autres.
Le principe du « pont » qui unit deux (voire plusieurs) éléments est mis en scène de façon à la fois littérale et conceptuelle dans l’art de Siah Armajani, dont l’exposition dans le Salon Scheerbart – Scheerbart Parlour est représentative de quelques aspects fondateurs du Mamco. Siah Armajani est un artiste iranien qui a fui son pays (pour des raisons politiques) vers les États-Unis en 1960, où il a étudié l’architecture et plus particulièrement l’architecture „vernaculaire“, dont il a réalisé des maquettes. De cette façon il est arrivé à unir dans son art sa culture d’origine à la culture américaine, en gardant des composantes de l’une et de l’autre dans ses constructions et en insérant souvent des éléments politiques ; à une analyse attentive, ce qui au premier coup d’œil semblerait un simple recueil d’objets et de modèles architecturaux, assume une profondeur conceptuelle importante. La série Dictionary for Building, par exemple, est composée de diverses constructions qui comportent chacune un pont, un élément de conjonction entre deux parties. Dans ce cas, la métaphore de la connexion est très évidente ; il construit des ponts entre les bâtiments, entre les cultures, entre art et politique. Cet espace, comme l’Appartement et l’Atelier de Sarkis, a un côté domestique et personnel : la pièce est meublée et tous les objets, mobilier y compris, ont été construits par Siah Armajani, qui a donc eu un rôle fondamental dans la réalisation de la salle.
Même si le Mamco accueille de nombreuses expositions monographiques permanentes, celles-ci sont modifiées, développées et déplacées assez souvent, dans le but d’être aussi dynamique que possible et de rendre floue la limite entre permanent et temporaire : il s’agit d’un musée d’art contemporain et il doit donc respecter les nécessités et changements de celui-ci.
En tant qu’exposition temporaire, on trouve maintenant (à côté de deux autres expositions) Once Upon a Time in Forevermore de Marnie Weber, une artiste californienne qui porte à l’extrême la notion d’union de différents facteurs. Après un début artistique comme musicienne, elle a étendu son rayon d’action à différents genres et formes artistiques, dont la sculpture, le collage et la vidéo, qu’elle mêle pour obtenir une sorte d’art global. En se promenant dans les salles de l’exposition, le visiteur rencontre des installations audio-visuelles, des poupées ventriloques, des collages (dont la série de 366 collages The Diary Project, qui est considérée comme une synthèse, l’aboutissement de la carrière de Weber). Ce mélange d’éléments parfois inquiétants crée au Mamco une atmosphère de « western », en formant un ensemble qui frappe le spectateur et lui donne l’impression d’être dans une dimension parallèle : on se trouve ici hors des lois de la nature, dans la fable de Marnie Weber. La synergie qui se produit entre les différentes composantes de l’exposition Once Upon a Time in Forevermore a un résultat étonnant et ambigu, qui affirme et pervertità la fois les principes hollywoodiens qui ont été la scène de la jeunesse de l’artiste californienne : Marnie Weber s’appuie ainsi sur la culture de son pays d’origine pour la nier.
Auteure: Emilia Colciaghi
Musée d’art moderne et contemporain: http://www.mamco.ch/