« Une joie vient, étrange, enfantine, ou peut-être archaïque » Jean-Christophe Bailly. La joie vient. Elle porte une immédiateté qui anime les corps. Elle n’est pas lointaine, car son temps est celui de l’instantanéité. N’ayant pas une forme fixe, la joie est un mot dont il faut toujours se méfier. Elle est plutôt un degré d’intensité que par les éclats rappelle un l’état archaïque des corps. Corps ivres de joie. Instables. D’une présence vivante. Néanmoins, dès qu’on parle de la joie elle s’en va. La joie est un souffle qui anime l’esprit. Comment écrire sur un signe fuyant et imprévu ? On ne peut pas dire que je serai joyeux demain à 18h15. Je ne maitrise pas la joie. Une joie qui n’est pas seulement la mienne. D’une intimité publique, la joie est toujours singulière, car elle n’est qu’une joie. Le temps de la joie est incertain. Et pourtant, elle va et vient, elle disparaît dans une présence en puissance. Elle se déplace sans cesse vers les uns vers les autres. C’est grâce à sa présence-absence que la joie éveille une intelligence de tout le corps chez ceux qui sont prêts à transformer leur vie devant l’inattendu, comme si une joie gardait toute une souplesse matérielle entre corps et esprit. Cette souplesse n’est pas adjectivale. L’instantanéité d’une joie est substantive. Si l’adjectif joyeux-joyeuse a possiblement une dimension naïve, une joie au sens de substantif a plusieurs attributs : la joie peut être pathétique, tragique, ou encore érotique et toujours politique. Avant la colère, la fureur fait les corps se soulever pour fêter, pour danser, pour marcher, pour baiser, pour mettre les corps à l’épreuve de la vie, surtout parce que la vie n’est pas obligée de continuer ce qu’elle a commencé, comme j’ai lu une fois chez Merleau-Ponty. Cette phrase m’a rempli de joie et j’ai fermé le livre pour quitter la Bibliothèque Nationale de France dans un jour d’été. Elle a enclenché une joie étrange, archaïque, enfantine. Il ne suffit qu’une ligne ou même quelques vers pour interrompre la lecture, comme si les écrivains déposaient à l’intérieur de ces œuvres quelques pièges pour nous rappeler une joie cachée dans le monde. Sans la neutralité du dictionnaire, sans l’assurance philologique, sans un savoir philosophique, ces joies peuvent nous traverser ou même nous transporter ailleurs, puisque la joie est un transport comme l’a dit Jean-Luc Nancy. C’est pour cette raison qu’elle se déplace continuellement, car elle donne corps aux étincelles, aux fragments, aux discontinuités. Une joie, quoi quel serait-elle, ne sera jamais la même. Différemment de toutes les promesses de bonheur, la joie porte un souffle de la disparition de soi-même pour faire monter toute une mémoire archaïque dans l’instant. Toutes les joies ont peut-être en commun une ouverture de la jouissance de la disparition de soi-même pour en dire que chacune est aussi une petite mort.
Eduardo Jorge de Oliveira
07.06.2018
Projection du film “La joie qui vient” (34 minutes) et conversation avec les philosophes Jean-Luc Nancy et Maria Filomena Molder, au Cabaret Voltaire.
19:00 à 20:30
Cabaret Voltaire
Spiegelgasse 1
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